PAR SÉBASTIEN NOIR
PHOTOS FONDS PERSONNELS JEAN TOLOTTA & CLÉMENT TOMASZEWSKI
Diabolo et Satanas. Jean et Clément. Deux merveilleux fous du ballon rond. Des Bleus. Prêts à tout à la tête de leur escadrille des supporters tricolores, même à utiliser parfois des machines infernales, pour assister à une rencontre des Bleus.
Avec eux, impossible n’a jamais été aussi Français ! Ils ne comptent ni leur temps, ni leur argent, pour assouvir leur passion dévorante. Tricolore. Collée à la peau. Bleu, blanc, rouge. Blacks, blancs, beurs. Une génération qui gagne. Enfin !
12 juillet 1998…
« Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille… Enfin, le plus tard possible, mais on peut. Ah c’est super! Quel pied ! Ah quel pied ! Oh putain, oh la la la la la ! » Comme notre Thierry Roland national, on n’oubliera jamais cette douce soirée de juillet.
Et 1, et 2 et 3-0. Le Brésil a dansé la samba sous les crampons de la formation d’Aimé Jacquet, un Dieu éternel après avoir été désigné comme un démon par la presse et les spécialistes du ballon rond.
Tout le monde se souvient où il était ce soir du 12 juillet 1998. C’était la naissance d’une équipe de France qui gagne.
Mais aussi celle d’une inextinguible soif : revivre cette ivresse, reprendre ces gorgées de bonheur. Les Bleus, fruits de la passion que ces inconditionnels consomment sans modération.
Une vague tricolore qui emporte tout sur son passage. Formée de fans qui, depuis, suivent les Bleus partout où ils se rendent. Planifiant leurs déplacements comme des agents de voyages, économisant le moindre euro pour cette flamme qui les consume en permanence, mettant, parfois, leur vie privée sur le banc de touche de leur frénésie. La fidélité, ils la doivent d’abord à l’équipe de France !
25 ans plus tard, nous avons retrouvé deux d’entre eux. Deux étoiles. Les plus célèbres… Diabolo et Satanas. Les deux merveilleux fous des Bleus. Clément d’Antibes et Jean Tolotta le Varois, président du club des supporters de l’équipe de France, regroupant onze entités !
Clément d’Antibes : le chant du coq !
Le premier match de Clément d’Antibes dans les gradins d’un stade en qualité de supporter des Bleus a beau dater du 16 mai 1982 à Bilbao, un certain France-Angleterre du Mondial espagnol, le chant du coq a bien lieu le 12 juillet 1998.
Bien sûr, la demi-finale remportée face à la Croatie reste dans les mémoires : « Suker avait marqué, on était mené, la malédiction allait-elle encore frapper ? Et là, Thuram passe par là. Lui qui a inscrit trois buts en 142 sélections en équipe de France, dont un contre son camp, même s’il ne le reconnaît pas (rires) nous envoie au paradis. Extraordinaire »,
La France est en finale. Clément Tomaszewski, lui, n’est pas encore Clément d’Antibes.
Il avait pourtant déniché des maillots dans une boutique antiboise qu’il avait fait floquer d’un long message « Clément d’Antibes, supporter de l’équipe de France et hospitalier d’Antibes ». Mais le lavage a raison du flocage. Le responsable du Décathlon parisien dans lequel il se rend le matin de la finale lui promet de réparer ce problème dans l’après-midi, mais avec un message plus court. « Je m’appelle Clément et je viens d’Antibes. Clément d’Antibes, ce sera parfait ! ». La naissance d’une légende…
« En Afrique-du-Sud, j’avais blasphémé (rires) en disant que nous avions fait des crédits pour venir et que les joueurs avaient fait grève. Un manque de respect ! Bon, Evra ne m’en a pas voulu, il m’a même offert son maillot »
Enfin, pas vraiment, restait à trouver le nom de son acolyte à crête. « Mon fils Christophe, qui m’accompagnait me demande comment je vais l’appeler. Je lui ai répondu du tac au tac Balthazar, en hommage à mon ami de Cagnes, Balthazar Rocomandato ».
L’aventure venait de débuter. Encore fallait-il le faire entrer dans le Stade de France. Clément en rigole encore : « Beaucoup avaient des coqs, mais ils ressemblaient à des kangourous ! Le mien était petit, plus mince. J’ai pu le dissimuler dans mon pantalon ! Bon, Ce con m’a cagué de partout ».
Cocorico, les Bleus peuvent compter sur leur supporter et son gallinacé poids coq.
Enfin, pas encore, encore un obstacle, et pas des moindres : Clément et son fils sont SDF ! Comment entrer au Stade de France, sans billet, puisque les deux supporters les ont égarés un peu plus tôt ? « Ils sont gravés dans ma mémoire, Porte Z, rangée 23, sièges numéros 9 et 10 ». Des numéros, mais ils n’ont pas encore gagné le gros lot. Mais ça ne tarde pas, alors qu’un supporter uruguayen et son fils sont assis dans leurs fauteuils, les agents de sécurité comprennent le problème. Et les deux Antibois ont pu assister à la finale de rêve et au premier succès des Bleus dans un mondial. « A la fin, TF1 diffuse un sujet. Et qui on voit, plein écran ? Mon fils, mon coq et moi ».
Voilà comment Clément est devenu célèbre dans la basse-cour des supporters des Bleus. Lorsqu’on évoque la victoire et la fête qui a suivi, les superlatifs fusent aussi vite que le coup de boule de Zizou : « Magique ! Extraordinaire ! Epoustouflant ! ». N’en jetez plus, il est temps de faire un bond dans le temps. 20 ans plus tard…
15 juillet 2018. Russie. La France en termine avec sa campagne et Clément avec ses 33 nuits passées à l’Est. Mais ce n’est pas l’Eden. « Nous avons été sacrés, mais c’était différent. D’abord, il pleuvait, nous étions trempés. Ensuite, à domicile, le titre avait une autre saveur. »
Pourtant, Clément est un homme heureux. Corée du Sud, Brésil, Afrique-du-Sud, l’Antibois a fait le tour du globe, aussi rond que le ballon qu’il vénère. Avec des souvenirs plein la tête… et les pognes : « J’ai fait signer une réplique de la Coupe du Monde par les joueurs, elle est exposée au Musée de la FIFA, à Zurich, depuis le 29 février 2016. Tout comme un de mes maillots jusqu’à la fin de l’année. »
Et après ? Sept Coupes du Monde et 300 matchs au compteur, 46 pays visités (avec la Grèce lors des éliminatoires de l’Euro), Clément prendra-t-il bientôt sa retraite – qu’il annonce souvent ! – malgré la réforme ? Le cœur a ses raisons que la raison ignore :
« J’ai eu 75 ans au début de l’année, ça pèse. Mais je ne connais pas le Canada, l’Amérique du Sud, le Mexique. Ce sont des continents à traverser et ça vaut une fortune. Mais bon, si je suis vivant et en bonne santé, je ferai cette Coupe du Monde ».
Foi de volaille, Clément et Balthazar ont encore de beaux jours devant eux !
Et si sa passion venait de là ?
Le football. La patrie. Comment sont nées ses deux passions. Voilà un début d’explication !
Clément d’Antibes, de son vrai nom Tomaszewski. Fils d’un légionnaire et d’une mère espagnole, Clément est l’exemple type de l’intégration. Il a été nourri dans l’adoration de la Patrie et biberonné aux symboles de la Nation. « Celle à qui l’on doit tout ! ».
Trois symboles, en réalité : le drapeau tricolore, la Marianne… et le coq !
Né en Algérie, il débarque à Bergerac et, à l’image de son frère, essaie le rugby. Pas transformé !
Pourtant, c’est là, en Dordogne, qu’il monte déjà sur ses ergots : « Mon père avait acheté une ferme, on prenait une poule ou un coq pour le balancer sur le terrain », éclate-t-il de rire.
Jean Tolotta, père de familles
Commençons par la fiche civile. Jean Tolotta. Du Var. Puis sportive : président du club des supporters de l’équipe de France jusqu’à peu, il a conservé la direction de la section varoise.
Passons à la photo d’identité. Jean, c’est avant tout une gueule ! Une longue barbe qui compense un front qui pousse vers le haut, cheveux longs sur les côtés, le Varois ne passe jamais inaperçu. Surtout lorsqu’il arbore les peintures de guerre : bleu, blanc, rouge.
Mais pour tous ceux qui le connaissent, Jean, c’est un grand cœur. Tellement énorme, qu’il peut bien le partager avec sa famille et son autre… famille, les Bleus. A tel point que, parfois, il faut tricoter pour remettre à l’endroit les mailles familiales : « Ma femme Natalie est née le 12 juillet 1969, c’est un signe non ? Nous avons été champions du monde le 12 juillet 1998 », sourit le malicieux. « Et mon fils, Jonas, qui fait tous les matchs avec moi aujourd’hui, a vu le jour en janvier 99. Je suis certain qu’on l’a conçu le soir de France - Afrique-du-Sud. Je suis rentré chez moi excité comme un calu après le succès 3-0. Et ma passion est née ce soir-là ». La gloire de ses pères tricolores, Pagnol n’est pas loin. Des expressions imagées et un accent chantant qui vous fait entendre les cigales à chaque syllabe. Il éclate encore de rire quand on lui demande ce que pense Natalie de sa passion : « Elle sait que j’ai une maîtresse, le foot. Et puis, quand je suis dans les stades, je ne suis pas à la maison, elle
peut profiter de la télé comme elle veut.
Elle n’a pas à subir une bande de sauvages installée sur le canapé à regarder les matchs. C’est un bon compromis ».
On reconnaît bien là, la bonne foi provençale ! Quant aux métaphores, Jean en use et en abuse, surtout lorsqu’on évoque les autres supporters : « C’est sympa, ça chambre. Mais quand ils perdent, ce ne sont plus des lions, ce sont des poussins ! Et on a la chance de souvent être du côté des vainqueurs ».
Là, c’est l’objectivité qui parle. Il relance « Quand je vois les autres équipes, nous on a des jeunes très forts, je ne vois pas qui peut battre la France dans les années à venir. L’Angleterre peut-être. Et encore… »
Une domination qui dure en tout cas depuis 1998, l’année où tout a commencé. « Champions du Monde. Chez nous. En battant le Brésil 3-0 en plus. La génération blacks, blancs, beurs. L’ambiance sur les Champs, les gens aux balcons, tout le monde qui s’embrasse. Et avant, on était champions du Monde des matchs amicaux. Bon, ensuite, on a été champions d’Europe en 2000. Du Monde en 2018. Mais on n’a jamais retrouvé ça. A part, peut-être, en finale de l’Euro 2000. L’Italie a match gagné, on est résigné. Et puis, ce con de Wiltord surgit d’on ne sait où. Et le but de Trezeguet. Même lui n’a pas compris que c’était fini, qu’on avait gagné. Alors, on explose, on s’embrasse. Le foot est une thérapie. Surtout quand on gagne… »
En revanche, dans les tribunes, il sait que les Bleus ont du mal à imposer leur ambiance. « Les Brésiliens, les Argentins sont imbattables. Après, l’Argentine, en 2018, on l’a battue. Et quand ils étaient devant, une Argentine a voulu échanger son maillot avec le mien. Mais j’en veux pas, moi, des autres maillots ».
Voilà, le rire fuse encore. Chauvin, le Jeannot ! On se dit alors qu’il doit entretenir des relations privilégiées avec les joueurs. Il répond, dans un sourire : « J’ai une bonne relation avec Boghossian, qui entraînait mon fils. J’ai des photos aussi, mais ce n’est pas ce que je recherche. Moi, j’aime le foot, voyager, je veux passer des bons moments avec des supporters tout en découvrant des pays que je n’aurais jamais visité, comme La Moldavie, La Bulgarie… Et puis, on fait des matchs officiels entre supporters, avec présentation des équipes, on s’éclate ».
Les copains d’abord, donc, quitte à louper six fois l’avion devant les mener en Moldavie. Et disputer le match face aux supporters locaux avec 24 heures de décalage après un périple comportant des transits par la Pologne, l’Autriche, l’Allemagne. « En plus, ils m’ont perdu ma valise », sourit Jean Tolotta.
Un sourire qu’il ne quitte jamais. Sauf, une fois, quand on lui demande à combien de matchs a-t-il assisté ? « Je ne compte pas. Quand tu commences à le faire, c’est que la fin approche. Et moi, j’espère arriver à dix Coupes du monde. Voire onze. Je ne veux surtout pas que ça s’arrête ! »
« Un jour, je ferai deux livres.Un, sur mon métier d’aide-soignant spécialisé dans les troubles du comportement, les polyhandicapés, les trisomiques. Et l’autre, bien sûr, sur ma passion de supporter ».
Jean LES BONNES ASTUCES
« Pour financer mes déplacements, je mets de côté 30 euros minimum par mois, soit 1 euro par jour. Mes primes, également, sont économisées dans cet objectif. Et, comme les compétitions ont lieu tous les 4 ans, cela fait une petite somme. Ensuite, je fais des efforts sur les transports. En 2014, j’ai fait 18 heures de bus pour rallier Sao Polo de Brazilia. Ce n’est pas pareil que 2 heures d’avion, mais ce n’est pas le même prix non plus. Enfin, je prends les billets le plus tôt possible, dès le tirage au sort effectué et les stades attribués. Je peux alors me pencher totalement sur mon parcours ». Et puis, il y a les bonnes surprises. Ainsi, Jean est choisi par un programme international des supporters pour se rendre au Qatar… gratuitement. « Une véritable aubaine. Je n’y croyais pas du tout. Mais bon, c’était bel et bien réel ! » C’est sa vie, in fine, qui est irréelle…