Mais qui a pu avoir cette idée folle, un jour, de vouloir monter des cols ?
Tout est parti d’un pari entre amis. Et à la fin de cette aventure pas comme les autres, on se dit qu’avec de tels amis, il n’y a pas besoin d’avoir des ennemis.
par WILLIAM SACHMALIA
Photos Schutterstock
C’était pourtant un moment sympa, un verre partagé entre potes. Et puis, la discussion dévie sur le sport. Le Tour de France arrive alors sur la table. « Quelle chance nous avons de pouvoir assister à l’arrivée historique sur la Promenade des Anglais le 21 juillet prochain. Et la Grande Boucle sera dans la région trois jours durant ».
Eh oui, pour la première fois, le Tour de France n’arrivera pas à Paris, en raison des Jeux Olympiques, mais à Nice. Comment célébrer cet événement comme il se doit ? C’est à cet instant précis que la question fusa : « Et si on participait à l’Étape du Tour, qui propose aux amateurs de rouler sur une étape de montagne dans les mêmes conditions que les professionnels ? ».
Mais, cette Étape du Tour, dont la 32e édition doit avoir lieu le 7 juillet, affiche déjà complet, victime de son énorme succès populaire. « Effectuons le parcours de cette journée, celui de la 20e étape du Tour de France, entre Nice et le col de la Couillole » !
Bien sûr, 138 km de route avec plus de 4 600 mètres de dénivelé positif cumulé, incluant les ascensions des cols de Braus, de Turini, de la Colmiane et de la Couillole. Un défi à notre hauteur…
Dans ma tête, tout ça ne fait… qu’un tour ! Les copains tentent alors de me rassurer, il ne s’agit que de cyclotourisme. Moi, je ne retiens que la deuxième partie du mot. Allez, c’est parti alors.
Une prière à L’Escarène
Le jour venu, nous enfournons un immense petit-déjeuner avant d’enfourcher nos montures que l’on aura bien du mal à dompter. Chez nous, le réconfort vient avant l’effort. Et quel effort ! Nous sommes là, presque les pieds dans l’eau de la Méditerranée et il nous faut grimper vers les sommets de notre belle région.
Premiers coups de pédales de cette folie avec, dans notre poche, le parcours détaillé : Nice-La Trinité-L’Escarène-Touët de l’Escarène-Col de Braus-Sospel-Moulinet-Col de Turini-La Bollène Vésubie-
Roquebilière-Saint-Martin Vésubie-Valdeblore-Col de la Colmiane-Saint-
Sauveur-sur-Tinée-Roubion-Col de la Couilloles. Rien que ça…
L’ancienne route du sel devient route de la selle pour nous. Après avoir roulé sur du plat et passé sans encombre La Trinité, nous faisons notre première étape dans le joli village de l’Escarène, construit au confluant du Redebraus et du Paillon.
Nous en profitons pour aller prier afin que tout se passe bien au cours de notre périple en l’église Saint-Pierre-ès-Liens. Ce superbe lieu chrétien, de style baroque, classé aux Monuments Historiques, a été construit par Jean-André Guibert, l’architecte de la Cathédrale Sainte-Réparate de Nice. Il comporte une chapelle attenant à chaque côté de sa large façade, où est inscrit « Tu es Petrus », « Tu es Saint-Pierre », l’une pour les pénitents noirs, l’autre pour les blancs.
Près de son superbe autel, le tout aussi magnifique orgue de Grinda. Mais pas le temps de jouer, même quelques fausses notes, il nous faut passer le grand braquet.
Et on ne va pas être déçu.
Sur les pas de Lazaridès et Vietto
Car il nous faut relier Sospel en empruntant le Col de Braus.
Une route incroyable, avec davantage de lacets qu’une usine à chaussures. Interminable… Le Col de Braus, ça se mérite !
Enfin arrivés au sommet, on m’avait promis une vue à couper le souffle. Mais je n’en ai plus ! Pas plus que mes compagnons de galère. On est plutôt dans l’air dur que dans l’air pur.
Assis sur les rochers, fort heureusement, on parvient à s’oxygéner et, enfin, profiter d’une vue imprenable sur les massifs et la vallée en contrebas. Le terrible effort en valait le coup. Surtout lorsque le train des Merveilles franchit le pont de la route Royale du Baroque, le temps suspend son vol. Nos pensées vagabondent alors vers les forçats de la route qui, eux, n’auront pas le temps de se poser. Et encore moins de profiter de la vue.
Une pensée aussi, et surtout, pour Apo Lazaridès, qui franchit le col en tête lors du Tour de France de 1947, et qui a fini ses jours à Nice. Il fut d’ailleurs remarqué par le Cannois René Vietto.
René Vietto, la légende du Col de Braus ! Il s’était échappé ici-même pour remporter sa première course professionnelle. Au sommet du col de Braus, encore, il lance une offensive, en 1931, pour remporter la Boucle de Sospel.
Enfin, c’est toujours ici qu’il s’échappa, pour gagner une étape du Tour de France 1934, à domicile, à Cannes, devant une foule enthousiaste !
Au cœur de la Ligne Maginot
Bref, on est vraiment à l’épicentre de l’histoire du Tour. Mais il nous faut quitter cet endroit mythique afin de poursuivre notre… tournée. Sospel-Moulinet. Une plongée au cœur de la Ligne Maginot, du nom du ministre de la Guerre André Maginot.
Et la visite du premier fort de cette ligne de défense des forces françaises construite avant la Seconde Guerre mondiale se situe à Sospel. Plus précisément sur la rive droite de la Bévéra, presque en fond de vallée. En venant du Col de Braus, nous sommes d’ailleurs passés à proximité du bloc 4, qui borde directement la route D 2204.
Et une émotion intense vous saisit lorsque vous pénétrez au sein du Fort Saint-Roch, érigé dans les années 30.
Un mastodonte de 5 000 m² de béton et 385 tonnes d'acier, qui possède toujours un canon de 13 tonnes et de 149 mm.
Sa mission était d’assurer la continuité des tirs avec les forts voisins mais aussi le barrage de la voie ferrée Sospel-Breil grâce à son canon de 75 mm et ses deux mortiers de 81 mm d'action frontale. Le visiter, c’est – un peu – partager le quotidien des 260 hommes présents lors du conflit.
Mais nous, aujourd’hui, nous devons poursuivre notre étape. Nous voilà partis comme des boulets de canon – ou
presque – en direction de Moulinet. Arrivés sur place, nous n’avons plus beaucoup de pêche. Mais nous souhaitons absolument continuer notre marche sur la Ligne Maginot, avec l’ouvrage de La Dréa, abri actif d’infanterie, construit sur la baisse de La Dréa, à 1 750 mètres d’altitude à la limite entre Moulinet et Breil-sur-Roya. Sa mission était de protéger une section d’infanterie et de renforcer la ligne de fortification, afin d’interdire le passage du vallon de la Maglia vers l'ouest par les pentes de la Gonella et du Ventabren.
Au paradis du rallye
de Monte-Carlo
On quitte la Ligne et on prend alors la tangente vers le mythique Col de Turini. Des lacets, encore et encore, et 1 604 mètres d’altitude pour ce col classé 1re catégorie et emprunté à quatre reprises par le Tour. On aurait tellement préféré grimper en voiture pour atteindre le paradis du rallye de Monte-Carlo.
Et l’enfer des cyclistes…
Là, en effet, se sont souvent joués les résultats de cette épreuve des championnats du monde des rallyes.
Un véritable musée à ciel ouvert où les quatre roues sont privilégiées sur les deux roues !
Partout, des plaques, des autocollants, des vestiges du Monte-Carlo, épreuve référence des rallyes.
Pour nous, ce sera repos des guerriers. On profite de l’immensité des cimes qui nous entourent. Une vue extraordinaire sur la mer bleue qui perce le vert de la forêt et le gris des montagnes.
Un étrange vertige nous saisit alors. Et ce n’est pas l’altitude. Encore moins l’ivresse des sommets. On réalise alors qu’on était encore là, les pieds presque dans l’eau, avant de tenter ce pari fou qui doit nous mener jusqu’au Col de la Couillole.
La Couillole, où Thévenet
a pris le dessus sur Merckx
Il est d’ailleurs temps d’en terminer avec ce parcours aussi interminable que difficile. Arrivés à Saint-Martin Vésubie, les jambes aussi lourdes qu’un 38 tonnes, ce sera pause ravitaillement. Remplir les panses et les bidons était devenu vital. Patienter et se requinquer avant de repartir. Sans même avoir la force de marcher jusqu’aux Les lacs de Prals situés à 2 269 m d'altitude à la Baisse des Cinq Lacs dans ce merveilleux écrin qu’est le Parc du Mercantour. Nous aurions tellement voulu rendre visite aux marmottes et autres chamois dans ce paysage glacière, mais nous devons en terminer avec notre contre-la-montre, nous n’avons pas quinze jours de vacances devant nous. Et, soyons honnêtes, vivement qu’on se débarrasse de ces vélos qui nous encombrent les pattes.
Alors, on se dépêche. On se met en danseuse pour faire valser les derniers villages. On dépasse enfin Roubion, ce très beau village accroché à la falaise, où l’on peut pratiquer l’escalade, par la via ferrata, les sports d’eau (ou la pêche) dans le canyon du Moulin.
De notre côté, on poursuit notre montée, quand on aperçoit, enfin, le panneau indiquant notre point d’arrivée à 1 678 m d’altitude.
Col de la Couillole. Le 7e ciel. Toucher la terre promise est une délivrance extraordinaire. Poser son vélo juste à côté de la borne commémorative « 29 mai 1965 a été inaugurée la liaison Tinée-Cians ». De là, on distingue au loin la vallée du Cians aux pierres rouges magnifiques dans laquelle se dessine la route de Nice qui rejoint rapidement la côte.
Seuls au monde, et ayant réussi notre pari, on peut alors se souvenir que le Tour a écrit une belle page de son histoire ici. C’était le 13 juillet 1975, lors de la 15e étape reliant Nice à Pra-Loup. Ce jour-là, alors que le Belge Lucien Van Impe, porteur du maillot à poids du meilleur grimpeur, passe le col en tête, son compatriote, le Cannibale, Eddy Merckx, connaît une énorme défaillance. Le Français Bernard Thévenet remporte alors sa première Grande Boucle. Inoubliable ! On rêve alors d’un même scénario le 20 juillet. La veille de l’arrivée historique sur la Promenade des Anglais…