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Sofiane Boukichou : El Torro sort de la cage !

PAR THIERRY SUIRE


Il est des coïncidences qui forgent un destin. Celui de Sofiane Boukichou, du quartier des Moulins à Nice jusqu’aux ambiances survoltées de MMA, en passant par Londres, Liverpool ou Saint-Jean-Cap-Ferrat, est des plus singuliers. On l’a extrait de la préparation de son prochain combat pour qu’il se raconte.


Photos Loïc Thébaud


« Quand mon père m’a dit : “Je suis fier de toi”, c’était énorme. Un aboutissement. Entre lui et moi, il y avait peu de mots. Et tout n’a pas toujours été simple. »

Place Garibaldi à Nice. Après 1h30 de discussion, El Torro baisse la garde. Le gaillard de 1,91 m pour 115 kg fend l’armure. Dévoile la face cachée d’une existence de combats.

Une vie avec des hauts et des bas. Des blessures dans sa chair. Des blessures à l’âme. Mais aussi une détermination de fer. Le même métal que celui qui soutient son tibia meurtri lors d’une joute dans la cage.

Une détermination qui l’a mené sur les sentiers tortueux du sport de haut niveau. Où tous les coups, ou presque, sont permis. Où on est livré à la vindicte populaire. Gladiateur d’aujourd’hui, dans la gigan­tesque arène des réseaux sociaux. Une arène virtuelle et versatile.

Cette vie, il n’en renie pas une once. Sans cesse focus sur le jour d’après. Sur le prochain défi.


A l’école du rugby

Enfant de Nice, enfant des Moulins, quartier sensible de la ville, Sofiane le confie immédiatement : « C’est le sport qui m’a fait sortir du mauvais pas qui m’attendait ». Pas de bonnes fréquentations. Un détour obligé par le football. Puis la rencontre avec le rugby. « On était dans un centre d’animation sportif du quartier. Des stages de rugby étaient organisés l’été à Valberg. Au départ, on s’en foutait du rugby, c’était pour être avec les copains. Mais mon frère a accroché tout de suite. En rentrant, il s’est licencié au Racing club de Nice. Je l’ai suivi. » C’est là que Sofiane découvre des vertus qui ne le lâcheront plus : « le respect, la fraternité, l’esprit de famille ». Il apprend à se canaliser, à imposer son respect autrement que par la bagarre. Son investissement dans son sport le conduit en sélection régionale au côté, notamment, de Frédéric Michalak.

Mais Sofiane partage cette passion avec ses premiers pas dans la vie professionnelle. Lycée hôtelier Paul-Augier. « J’ai toujours été travailleur. Je faisais le service au restaurant et, le soir, pour gagner trois sous, je lavais des voitures dans les garages ». Une activité difficile à concilier avec son élan sportif. « Certaines fois, je partais à la dernière minute de mon service pour l’entrainement ». Quand il bosse au Grand Escurial, adresse nocturne réputée de la capitale azuréenne, il dort une à deux heures avant d’aller jouer un match. Pas de quoi assouvir sa soif de défis : « J’ai toujours voulu repousser mes limites, atteindre mon maximum ». Dans le travail comme dans le sport.


« Au rugby, Sofiane découvre des valeurs qui ne le lâcheront plus : « le respect, la fraternité, l’esprit de famille ».

Photos Fonds personnel Sofiane Boukichou


Marche à Londres

Le côté professionnel prend le dessus. Sofiane enchaîne les services sur la Côte d’Azur. Enrichit son carnet d’adresses. En 2008, après une saison sur la plage Le Florida, chère à l’ami Alex, il prend son baluchon. Aller simple pour Londres. Sans connaissances sur place. Sans parler la langue. « J’habite Crystal Palace et j’apprends l’anglais en lisant des livres dans les transports en commun. Je repars de zéro. Mais je ne lâche pas ». Il vit ses 20 ans dans la capitale anglaise. Y reste trois ans. Et un jour, les coïncidences toujours : « J’héberge un ami qui venait participer à une qualification au championnat du monde de Jiu Jitsu. J’ai accroché avec cette activité. Je voulais essayer. » On lui conseille un club du centre de Londres qui a une section Jiu Jitsu et une autre de MMA. Une activité qui fait écho à son plaisir d’ado de regarder, avec son père, les premiers DVD de MMA qui circulent alors. « J’ai eu un déclic : c’est ce sport que je veux faire ! » Le sport qui lui permettra de repousser ses limites.


La rencontre avec Aldric Cassata

De retour en France, il dégote, par connaissance, un poste dans un bar de nuit. Et un jour, avant le service, il discute avec les gars de la sécurité. Demande : « Voilà ce que je faisais à Londres, j’aimerais bien me trouver un club ici... » Face à lui : Aldric Cassata, coach du Boxing Squad Nice. Son coach aujourd’hui encore. « Il faisait un extra, moi aussi. On aurait pu ne jamais se croiser. C’est dingue. » Le destin.

L’aventure commence. Après une paire d’années, Sofiane veut passer un cap. Faire un combat en amateur. Demande à Aldric de le prendre en coaching privé. De le faire grandir. Il apprend vite, s’enrichit du regard d’autres coachs de la salle, Miguel Haro, Saief Toumy.

Premier rendez-vous amateur à Marseille. Deux combats, deux victoires. « C’est là, à ce moment-là, que j’ai décidé d’entrer dans le monde professionnel du MMA ». Il s’y prépare. Mais son premier fight pro se solde par une défaite aux points. Aux poings. Stress, pression, médiatisation... « Je n’en ai pas dormi pendant trois mois ! Je devais faire plus. » Il remet le bleu de chauffe. Et les victoires s’enchainent. Son classement mondial grimpe (aujourd’hui, Sofiane est classé 5e français et 68e mondial en poids lourds). Un manager gère ses propositions. Sofiane demande systématiquement l’aval d’Aldric Cassata. « C’est le premier qui a cru en moi. Quand j’ai accepté un combat contre Mohamed Ali - « Flex » - un nom du MMA, tout le monde m’a pris pour un fou. Sauf lui. Et je l’ai battu. Pour ma première ceinture ».

Sa carrière est lancée. Il assure le sparring de Francis Ngannou, prend le même manager que Cyril Gane. Un élan qui se brisera net au 8e combat. Sur une image qui fera le tour du monde via les réseaux sociaux.


Photo Fonds personnel Sofiane Boukichou


LA CASSURE


16 février 2019. Deux prospects poids lourds en Europe se font face dans l’Exhibition Centre de Liverpool : Sofiane Boukichou vs Tom Aspinall.


L’enjeu : un ticket d’entrée dans la prestigieuse organisation UFC. « Je suis bien préparé, je suis en forme. Mais, après 1’20, je lance un kick (coup de pied) pour le laisser à distance. Il lève son genou. Et le tibia s’est cassé. Net. » Quand Sofiane pose le pied, le bas de sa jambe droite se met en angle droit. Une image terrible qui se répand plus vite qu’une traînée de poudre. Et marque durablement le combattant. Il se fait un point d’honneur de sortir de la cage par ses propres moyens, sans la civière. « L’honneur du guerrier », souffle Sofiane. Il lève le poing et arrache les applaudissements unanimes de la salle, acquise à son adversaire. Il rassure les siens : « On va revenir fort ».

A l’hôpital, la réalité lui saute au visage : « J’ai eu un gros down. Je me suis dit, c’est fini. Je ne pourrai plus combattre. C’était compliqué. J’en ai pleuré. » Il est opéré : 8 tiges en métal entourées d’arceaux maintiennent son tibia dans l’axe le temps de la consolidation. Mais ça ne marche pas. Il est suivi par l’IM2S à Monaco. Enlève les broches, se fait mettre un plâtre. Ça ne tient pas. Il est réopéré à l’IM2S. Une tige placée le long du tibia maintient désormais son os fragilisé.

S’ensuit une douloureuse période de rééducation avec de la kiné tous les jours. « J’avais mal tout le temps ». En parallèle, Sofiane continue à travailler le haut du corps. « Je n’avais qu’une chose en tête : revenir ! » Six mois après la blessure, mi-août, il commence les premières frappes de sac avec le tibia. Une rééducation expresse gagnée sur la souffrance et la détermination.

Septembre, son manager l’appelle. « J’ai un combat pour toi. En décembre. Je dis oui. Je voulais absolument revenir ». Il n’est pas prêt mais se rend à Dakar pour affronter un nom de la lutte sénégalaise : Reug Reug. Il a des doutes par rapport à sa jambe, stresse énormément. Là-bas, « c’est la folie, la foule me suivait dans la rue. Canal + retransmet... » Il entre dans la cage avec la boule au ventre, un voile devant les yeux. Et prend le bouillon. Une défaite qui sonne comme une grosse remise en question.

Le fighter retourne dans l’écurie d’Aldric Cassata qu’il avait quitté pour le club de Saief Toumy. Il remet le métier sur l’ouvrage. Développe spécifiquement sa boxe avec Jean-Marc Toesca, sorcier de la discipline. « Mon style a complètement changé ». Il se rassure sur la solidité de sa jambe. Retrouve Aldric dans le coin. Et le goût de la victoire. L’organisation UAE Warrior le programme pour 5 combats à Abu Dhabi en 2022 et 2023. Résultat : 4 victoires pour une défaite à la décision. En octobre dernier, il échoue aussi face au Polonais Palasz à Bratislava. Mais El Torro a bel et bien repris sa marche droit devant !

Des résultats obtenus avec une nouvelle boîte manager : « Résilience ». Un mot qui résonne avec le parcours du fighter niçois.


Photo Loïc Thébaud


AU NOM DU PÈRE


La figure du paternel revient souvent dans le propos du sportif. En clair-obscur.

Côté pile. « C’est un exemple. ll travaillait très dur et nous a inculqué, avec mon frère et ma sœur, cette valeur travail ». Côté face : « Il était très dur, très sévère et un jour, j’ai claqué la porte de la maison et on ne s’est plus parlé pendant un an. Il voulait notre bien mais n’avait pas la bonne forme ». Un jour, à Londres, le papa débarque seul et frappe à la porte. « On a crevé l’abcès, de fils à père et d’homme à homme ». Et puis, plus tard, « quand il a été malade, avant de se faire opérer, il m’appelle. J’arrive. La discussion qu’on a eue, ce jour-là, m’a profondément marqué. » Toujours à ses côtés, son père, c’est sa force.


SOFIANE BOUKICHOU EN BREF


Son surnom

« El Torro » : C’est son coach Aldric

Cassata qui le surnomme comme ça. « Parce que même à l’entraînement, même si je n’en peux plus, je continue

à avancer ».


L’image de violence

« J’invite tout le monde à pousser la porte d’une salle de MMA. Oui il y a du sang, des ouvertures. Mais en boxe, 90% des coups sont portés à la tête. Au MMA, il y a les jambes, le corps, les phases de lutte. Il y a moins de coups à la tête, les séquelles au cerveau sont moindres. Les combats sont durs à voir mais les ouvertures (arcades, paupières...) sont superficielles. »


La phrase

« Une phrase entendue d’un de mes coachs de rugby me suit aujourd’hui

encore : quand il y a un problème, tu fais un pas en arrière, tu analyses et ensuite tu avances. »

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